En conversation avec Philip Salaerts, CEO et propriétaire de Distrilog

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460.000 m2 d'entrepôts, 1.600 collaborateurs, 164 millions d'euros de chiffre d'affaires, 415 véhicules et 21 sites. Ce sont là des chiffres impressionnants pour une entreprise familiale belge et Distrilog fait donc partie des principaux acteurs de la logistique dans notre pays. Avec plusieurs clients de premier plan comme AB InBev, Nestlé et Atlas Copco, Distrilog figure dans le top 5 des entreprises de transport et d'entreposage. Nous nous sommes entretenus avec Philip Salaerts, CEO et propriétaire de l'entreprise familiale.

Evolution et innovation avant tout

Distrilog est active dans la logistique depuis 1991. Pour rester dans la course, toute entreprise se doit d'évoluer et d'innover en permanence. « En observant activement les tendances sur le marché et grâce aux opportunités d'acquisition sur notre route, nous sentons les priorités du secteur et pouvons réagir rapidement », explique Philip Salaerts. « Jusqu'en 2017, par exemple, nous ne faisions  ratiquement pas de stockage de denrées alimentaires traditionnelles, alors que c'est aujourd'hui notre principale activité. On regarde ce qui marche et on s'en inspire ensuite pour évoluer. »

Distrilog est aujourd'hui active dans un très large éventail de secteurs comme l'alimentation, le retail, les biens de grande consommation, le bricolage, les soins aux animaux et les produits chimiques. « Nos transports sont adaptés à cette grande diversité. Nous sommes ainsi en mesure de traiter pratiquement toutes les températures (congelé, réfrigéré, conditionné et ambiant) dans des remorques et des camions fourgons de toutes tailles et tous poids. Nous transportons aussi bien de grands compresseurs avec des plateaux surbaissés que des colis avec des camionnettes. Mais notre principale activité aujourd'hui est le transport d'aliments conditionnés, c'est-à-dire principalement les aliments frais et le chocolat. En juillet 2023, nous avons encore acquis une société à Zele spécialisée dans le transport et le stockage de chocolat. Une belle acquisition qui correspond parfaitement à notre vision actuelle. »

La professionnalisation du secteur logistique

« Notre société a beaucoup évolué et grandi au cours de ses trente années d'existence. Le type de clients dans notre portefeuille a changé, mais aussi la manière dont les clients envisagent la logistique. Le secteur s'est fortement professionnalisé au cours de la dernière décennie. Grâce aux systèmes track & trace, nous pouvons désormais suivre nos camions à la minute là où nous devions avant cela téléphoner au chauffeur pour savoir où il était. Nous connaissons aussi très précisément le flux : quand les marchandises arrivent, quand elles sont dans l'entrepôt, quand elles sont livrées chez le client, ... Et nous pouvons le montrer de manière très transparente. La logistique a aussi une fonction de plus en plus importante. Il y a eu de gros problèmes d'approvisionnement des stocks pendant la pandémie de coronavirus et les clients ont alors découvert à leurs dépens qu'une chaîne d'approvisionnement à l'arrêt pouvait avoir d'énormes conséquences pour leur société. L ' entreposage a aussi connu un énorme changement au cours de cette période. Jusqu'à la pandémie, les sociétés limitaient leurs stocks autant que possible alors qu'aujourd'hui, leurs stocks sont énormes. »

« La manière dont les clients envisagent la logistique a beaucoup changé »

Numérisation et automatisation

La numérisation et l'automatisation sont deux éléments que tout acteur logistique ne peut plus ignorer en 2023. Même si les fondements, surtout pour la numérisation, ont déjà été posés il y a de nombreuses années. « En tant qu'acteur logistique, nous travaillons déjà sur la numérisation depuis très longtemps. Il y a quinze ans, les clients pouvaient déjà retrouver leur pod (preuve de livraison) scannée sur notre site web. Depuis, ces outils ont bien sûr été constamment améliorés et modernisés, mais la base reste la même. Nos entrepôts travaillent également de manière numérique depuis de nombreuses années. Du côté des transports, par contre, la route est encore longue. Les outils sont là, mais il faut que les clients acceptent de les utiliser. Beaucoup restent attachés à la lettre de voiture papier. Nous essayons de les encourager à passer au tout numérique et je pense que nous y parviendrons d'ici quelques années. 

Au niveau de l'automatisation, nous avons toujours procédé par petites étapes, comme l'installation d'une ligne de filmage il y a de nombreuses années. Aujourd'hui, et pour la première fois, nous allons faire un grand pas en avant avec un investissement substantiel dans 20 véhicules à guidage  automatique (VGA). Il s'agit d'appareils autonomes sans chauffeur, qui rangent les palettes dans les rayonnages ou les en retirent et circulent dans l'entrepôt. C'est à ce jour un des plus grands projets d'automatisation en Belgique qui est déployé progressivement depuis janvier. En tant que 3PL (Third Party Logistics), je crois beaucoup en de telles automatisations dans les entrepôts. Nous devons intégrer une certaine flexibilité pour continuer à répondre aux besoins de nos clients. Et cela passera notamment par ces VGA. L'automatisation est une innovation permanente, aussi grâce aux échanges avec les clients et les fournisseurs. »

Électrification du parc automobile

La principale révolution dans le secteur logistique selon Philip Salaerts aura lieu dans les dix prochaines années, surtout au niveau des transports. « Je crois dans les carburants alternatifs et je suis sûr qu'ils vont totalement changer le paysage des transports. Nous analysons déjà activement l'évolution sur le marché depuis plusieurs années. Les prochaines années seront déterminantes. Si les carburants alternatifs deviennent plus abordables, nous pourrons poursuivre sur cette voie. S'ils restent aussi chers que maintenant, ça en restera temporairement au stade de projet.

Le GNL (gaz naturel liquéfié) a pour beaucoup été considéré pendant longtemps comme LA solution pour des transports plus durables. Il est abordable, mais cela reste un carburant fossile. Il faut donc passer au GNL bio, qui coûte hélas le double. Depuis juillet 2023, le GNL bio représente 10 % de nos volumes de carburants, ce qui est relativement facile à augmenter à l'avenir. D'un autre côté, on parle aussi beaucoup de l'hydrogène. Mais si vous regardez du côté des constructeurs, on ne peut pas dire qu'il y ait beaucoup d'évolution puisqu'ils préfèrent se concentrer pour le moment sur l'électrification. Nous avons récemment acheté nos deux premiers camions électriques que nous allons utiliser uniquement comme shuttles de 6 à 18 heures, avant de les recharger pendant 9 heures. Le prix est environ 3,5 fois plus élevé que pour un camion classique et ça reste donc difficile d'un point de vue économique. Il est vraiment indispensable que nos clients prennent le train, si je peux m'exprimer ainsi, de l'électrique. Les prix finiront bien par diminuer à l'avenir et les subventions publiques vont également y contribuer, bien entendu, même si je pense qu'il faudra encore d'autres incitants.»

« L'électrification va totalement changer le paysage des transports »

Augmentation exponentielle des embouteillages

Les embouteillages sur les routes belges ont augmenté de manière exponentielle ces dernières années. « D'un autre côté, les clients veulent tous être livrés de plus en plus vite. Or, les embouteillages empêchent précisément d'arriver à l'heure partout. Nous sommes donc obligés de mobiliser plus de camions, ce qui ne fait bien sûr qu'accentuer les embouteillages. C'est ce qu'on appelle une prophétie auto-réalisatrice. Pour pouvoir changer ça, nous devons tous changer de mentalité. Il n'est pas normal que votre colis arrive sur votre seuil le lendemain de votre commande. »

Comme le dit le ministre Peeters, les files dans notre pays ont un coût total de 4,8 milliards d'euros sur base annuelle pour la société. « Une piste intéressante selon moi pourrait être d'utiliser toute la capacité de notre réseau routier 24 heures par jour. Pour régler le problème des files, nous devons vraiment miser plus sur les transports et les livraisons de nuit. Nous essayons d'en convaincre nos clients parce que cela offrirait de nombreux avantages pour tout le monde. Nous le voyons aussi du côté de nos chauffeurs dont beaucoup se sont mis sur liste d'attente pour travailler de nuit. Ils sont payés plus et ne sont pas coincés dans les embouteillages. C'est du win-win donc. »

Changements sociétaux en vue

« Que réserve l'avenir pour Distrilog ? Nous voulons maintenir notre entreprise en bonne santé et la faire croître régulièrement. L'impact le plus important dans les années à venir viendra des tendances et changements sociétaux généraux comme l'électrification, même si j'ai parfois l'impression que nous mettons la charrue avant les bœufs. Ça va très vite et c'est aussi nécessaire car on ne peut plus ignorer les changements climatiques. Mais où trouver toute cette électricité ? Notre pays a un plan de démantèlement pour ses centrales nucléaires alors que la Suède à au contraire l'intention d'en construire de nouvelles. Les énergies alternatives que sont le soleil et le vent vont bien sûr être utiles, mais elles ne pourront pas combler le trou à elles seules. Il faut certes aller de l'avant, mais cela signifie aussi que les autorités doivent prendre des mesures à court, moyen et long termes. Et je me demande parfois si nos gouvernements ont bien tout compris. Mettre les transports sur le rail et l'eau est une bonne solution pour les distances au-delà de 300 km. Mais pour les distances plus courtes, c'est tout simplement trop cher et il faut toujours amener les marchandises jusqu'au client final. C'est un exercice très compliqué à réaliser et je suis donc curieux de voir ce que l'avenir nous réserve encore. »